Un texte de Claude-Henri Rocquet, membre de l’association des Ecrivains croyants
Je suis venu conduit par ma canne blanche
Comme la neige qui mouillait mes savates trouées.
Je n’avais plus même un chien pour me guider
Dans la nuit et je frappais de mon bâton les arbres
Dont un corbeau lourd de froidure parfois s’envolait.
Et j’allais, j’allais. Heurté par les basses branches
Des arbres hostiles. Griffé de houx par les halliers.
Fallait-il que je sois fou pour m’être ainsi mis en route
Au lieu de rester blotti près de la cendre encore chaude d’un feu
À l’abri de ce coin de murs qui est mon domicile !
Blotti, pour y mourir, bientôt, et me mêler à la foule de tous les morts,
Les morts, qui sont aveugles de tout leur corps,
Les morts qui sont mêlés pour toujours à la nuit.
Mais je marchais à travers l’hiver et ses morsures comme on revient en rêve vers son enfance.
Un dernier bout de pain dans mon sac et je ne demandais pas en chemin l’aumône.
J’attendais une aumône plus grande que toutes celles que j’ai pu recevoir au long de tous les dimanches.
J’attendais la lumière et de revoir le jour.
J’attendais que cesse enfin la nuit et que se lève en moi l’aube qui est le don quotidien de tous les autres, et dont jamais ils ne s’étonnent.
J’allais vers un enfant qui venait d’ouvrir les yeux sur le monde.
Me verrait-il ? moi qui ne vois personne.
Je lui demanderais la grâce de me guérir
Comme je sais que dans sa vie il en guérira d’autres
Et même qu’il relèvera quelques morts.
Je lui dirai : « Seigneur, fais ton premier miracle
Et donne-moi la grâce de te voir.
Seigneur, mon Dieu ! délivre-moi du noir. »
J’entendrai l’âne et le bœuf auprès de la mangeoire remuer dans la paille de l’étable.
J’entendrai l’éclat d’une étoile inouïe se poser sur la maison misérable de l’enfant et de sa mère.
« Enfant, ce monde que tu as créé, si beau, fais que je le revoie !
Il ne me suffit plus de l’entendre et de le toucher, de le respirer.
Il ne me suffit plus de ne le voir qu’en rêve, dans la nuit.
Ouvre la porte de la prison où je suis. »
J’attendrai.
« Seigneur ! Au moins, si ce n’est pas le jour que tu me guérisses, et que je voie, que je vive,
Donne-moi la force de la patience
Et de savoir que ma nuit, d’avoir été emplie d’espérance, en est changée.
Adoucis mon amertume !
Et donne-moi la force de consentir à n’avoir pas été le premier des aveugles, et des malheureux, que ta bonté aura guéris.
Puisque le temps n’était pas encore venu que tu le veuilles. »
Claude-Henri Rocquet
Noël 2009